Violences éducatives ordinaires

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Ça paraît évident pour plusieurs d’entre nous que frapper un enfant avec un objet c’est violent. Frapper tout court est violent! Dans son livre Châtiments corporels et violences éducatives, Muriel Salmona nous offre une liste de violences éducatives ordinaires. Saviez-vous qu’enfermer un enfant dans sa chambre, le priver de nourriture, le menacer de violences physiques, jeter ses jouets et ses objets personnels, crier, menacer, humilier l’enfant comme en le forçant à s’excuser sont aussi des violences?

On nomme ces violences, violences éducatives ordinaires (veo) parce qu’elles font partie de violences faites aux enfants sous le couvert de l’éducation. Les parents utilisent ces violences dans l’objectif d’éduquer les enfants. 

Elles sont qualifiées d’ordinaire parce qu’elles sont considérées par trop de gens comme banales et normales. La plupart d’entre nous avons vécu à un moment ou à un autre ces violences dans notre enfance et de par ce fait, elles nous semblent normales et même acceptables. Peut-être même perçues comme nécessaire pour éduquer les enfants de la « bonne façon ». Pour le fameux « bien » de l’enfant.

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« Pourquoi appelle-t-on AGRESSION le fait de frapper un adulte, CRUAUTÉ le fait de frapper un animal, mais ÉDUCATION le fait de frapper un enfant ? »
— Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse

Les veo c’est quoi?

Selon Wikipédia, « Les violences éducatives ordinaires (souvent présentées sous l'acronyme « VEO » dans les pays francophones se définissent comme un ensemble de violences physiques, verbales et qualifiées d’éducatives, car elles font partie intégrante de l’éducation à la maison et dans tous les lieux de vie où séjournent les enfants (écoles, foyers socio-éducatifs, centres d'hébergement). Elles sont également qualifiées d'ordinaire, car celles-ci sont souvent quotidiennes, considérées comme banales, normales, quelquefois tolérées et parfois même encouragées. Elles peuvent également se manifester par des paroles dévalorisantes, humiliantes et blessantes.

Ces violences dites éducatives (ayant comme finalité d'« éduquer » les enfants) se présentent sous la forme d'une liste (non exhaustive) de violences physiques, violences verbales, violences psychologiques (et émotionnelles) et de négligences, voire de privations. »

La loi

Il y a maintenant plus de 60 pays qui ont adopté une loi contre les violences physiques et psychologiques. 

Moi qui entretiens déjà une histoire d’amour avec les pays nordiques, j’ai été enchanté de constater que la Suède a été le premier pays, en 1979, à adopter une loi à cet effet. Celle qui est derrière la magie de Fifi Brindacier, ce personnage de mon enfance qui a une place spéciale dans mon coeur de par sa non-conformité et son authenticité, Astrid Lindgren d’origine suédoise a en 1978, prononcé un discours contre les violences faites aux enfants lors de la remise du prix de la paix en Allemagne.



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Discours d’Astrid Lindgren sur le site LykkeWay de Catherine.



En Suède, un parent peut aller en prison s’il utilise les violences physiques et psychologiques. Ce qui n’est pas le cas en France qui a adopté en juillet 2019 une loi contre les violences physiques et psychologiques.

J’étais très curieuse de savoir quels ont été les impacts depuis que la France a adopté cette loi, « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Quand j’ai posé la question sur un groupe Facebook anti-veo j’ai compris très vite qu’une grande majorité des parents français ne voient pas de changement. Ils se sentent comme des extra-terrestres quand ils informent leurs entourages de cette nouvelle loi et de leur choix de ne pas punir les enfants. Je lis, « ..la loi est passée sans bruit. », et « la loi est juste pour « faire beau » ».

Les parents français rapportent avoir vu peu ou pas de campagne de sensibilisation alors qu’un parent m’explique que « la loi permet de débloquer des fonds pour informer et former les gens ».

Ça fera deux années en juillet que la loi est passée en France et probablement, comme l’écrit une maman sur le groupe anti-veo, il n’y a pas encore assez de recul. Ça me porte à réfléchir. Comment la Suède en est arrivé à ce que les violences ordinaires éducatives faites aux enfants soient perçues par une majorité de parents comme très mal vu?

Je comprends en lisant un article sur le site Sweden.se que l’attitude du peuple suédois avait déjà changé avant que la loi soit votée. Les trois quarts des parents étaient en 1979 en faveur d’une injonction légale.

Au Canada, nous n’avons pas (encore) de loi contre les violences physiques et psychologiques, mais en 2013 on a en retiré la loi qui donnait droit aux parents de corriger leurs enfants avec la force.

Article 1 : Texte de l’article 43 :

43. Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.

Liste des violences éducatives ordinaires (veo)

Les listes nous permettent de mieux comprendre qu’est-ce que sont les violences dans le concret. Ce que je comprends de ces listes est qu’elles sont en partie une interprétation d’un champ d’expertise encore tout jeune. Malgré cela, je n’ai pas été surprise par les éléments des listes que j’ai trouvés en fouillant sur Internet.

Celle qu’on retourne sur le site Enfances Épanouies est particulièrement détaillée. On y retrouve plusieurs catégories, violences physiques, violences psychologiques, violences culturelles, douces violences et maltraitances. Voici certains éléments qui retiennent mon attention.

LES VIOLENCES PHYSIQUES

  • Donner une tape sur la main

  • Bousculer l’enfant ou le pousser

  • Laisser pleurer seul

  • Forcer à goûter/à manger/à finir son assiette

  • Priver de dessert

LES VIOLENCES PSYCHOLOGIQUES

  • Créer un tableau d’appréciation du comportement de l’enfant via des visuels (lion des couleurs, points, croix…)

  • Punir

  • Donner des récompenses

  • Ne pas arrêter de chatouiller quand l’enfant le demande

  • Se placer en autorité toute puissante (adultisme)

LES VIOLENCES CULTURELLES

  • Circoncire et décalotter sans son consentement éclairé et réfléchi

  • Forcer à demander pardon/à s’excuser

  • Forcer à faire la bise/à se laisser embrasser

  • Forcer à faire un câlin/à se laisser câliner

  • L’exposer sur internet/dans nos conversations sans son consentement (photos, vidéos, récit « intime »)

LES « DOUCES VIOLENCES »

  • Donner des surnoms (monstre, bulldozer, petit diable…)

  • Presser l’enfant dans toutes ses activités

  • Faire à sa place, car on le trouve trop lent

  • Le mettre devant la tv/console/tablette pour avoir la paix

  • Forcer à rester à table pendant le repas

LES MALTRAITANCES

  • Privation d’affection

  • Insultes

  • Surnoms humiliants/insultants

  • Coups répétitifs

  • Privation de nourriture

La recherche

C’est ici que je retrouve, dans la recherche, ce que je ne croyais jamais de ma vie retrouver. Des preuves que d’avoir souffert dans les relations avec nos parents a des effets sur notre cerveau. Ces effets donnent des résultats divers comme: la dépression, une faible estime de soi, l’anxiété et même la maladie.

Avoir vécu des veo dans l’enfance est associé avec des altérations structurales à long terme dans certaines régions du cerveau, particulièrement l’hippocampe, l’amygdale, et le cortex préfrontal. Anne-Laura Van Harmelen (2010)

Hippocampe

L’hippocampe joue un rôle majeur au niveau de l’apprentissage et de la mémoire. L’hippocampe transforme les mémoires à court terme en mémoire à long terme comme apprendre à conduire et les apprentissages scolaires. Ce qui demande un effort mental au départ devient automatique (Bliss Brain de Dawson Church).

La maltraitante, spécifiquement l’abus physique, sexuel et émotionnel et la négligence physique et émotionnelle réduit le volume de l’hippocampe. Martin Teicher (2016)

Une réduction de l’hippocampe est associée avec une inadaptation au stress et à diverses pathologies comme l’anxiété, la dépression, alcoolisme, la schizophrénie, le désordre bipolaire. Joan Luby (2016), Jonathan Rottenberg (2007)

Au contraire, le maternage soutenant et empathique, augmente le volume de l’hippocampe et est associé avec une meilleure régulation des émotions au début de l’adolescence. Joan Luby (2016)

Amygdale

L’amygdale (dans le cerveau) est le centre de la peur. C’est cette partie du cerveau qui dicte notre réaction au lion qui nous court après. On s’enfuit, on se bat ou on reste immobile. 

Des chercheurs de Stanford University School of Medecine on découvert que plus l’amygdale est grosse, plus l’enfant vit d’anxiété.

Vivre un niveau de stress prolongé et de l’anxiété, dû entre autres aux veo, augmente le risque de développer de l’anxiété et de vivre la dépression plus tard dans la vie. 

Les personnes stressées ont plus de maladies (cancer, diabètes et maladie du coeur) et vivent moins longtemps (Bliss Brain, Dawson Church).

Aux États-Unis, la CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a publié une étude Adverse Childhood Experiences qui conclus que les enfants vivant, entre autres,  des expériences comme de la violence, de l’abus, ou de la négligence, ont plus de risque d’avoir des maladies chroniques et des causes de mort comme le cancer, le diabète, les maladies cardiaques et le suicide à l’âge adulte. référence!

À voir: vidéo Adverse Childhood Experiences

Les enfants qui grandissent avec du stress toxique ont des difficultés à former des relations saines et stables. Les effets peuvent être passés à leurs propres enfants. référence!

Cortex préfrontal

C’est dans le cortex préfrontal qu’on retrouve, entre autres, la régulation des émotions, l’empathie, le sens étique et moral, la prise de décisions, l’expression de la personnalité, la gestion des comportements sociaux, le langage et la compréhension du langage.

Cette partie du cerveau est affectée négativement par les violences éducatives ordinaires. Les gens qui vivent des violences, ont moins d’empathie et ont de la difficulté à réguler leurs émotions.

Dans une étude, on a démontré que la maltraitante émotionnelle dans l’enfance est associé avec une profonde réduction du volume du cortex préfrontal qui pourrait expliquer la hausse de sensibilité émotionnelle chez les personnes ayant vécu des violences éducatives ordinaires. Anne-Laura Van Harmelen (2010)

Au contraire, un maternage empathique augmenterait la substance grise du cerveau et favoriserait l’épaississement du cortex frontal. Rianne Kok (2016)

La violence a comme résultat de l’obéissance illusoire

Dans le livre Châtiments corporels et violences éducatives de Muriel Salmona on peut lire: « Mais si la sidération provoquée par des cris, un hurlement, des injures, une tape, une menace semble permettre d’obtenir une obéissance et une soumission instantanées par la peur, la surprise, l’incompréhension, celle-ci s’accompagnant d’une paralysie du cortex cérébral (la matière grise qui permet de comprendre, d’analyser, de prendre des décisions et d’agir) et de l’hippocampe (le système d’exploitation de la mémoire, des apprentissages et des repères temporo-spatiaux), l’enfant perd ses moyens, il ne va pas pouvoir répondre à une question (il est bloqué), il ne va pas pouvoir mobiliser sa mémoire et ses apprentissages. »

Je me souviens très bien de cet état de confusion. Même si mon parent essai de me faire comprendre que mon comportement est mauvais et qu’il me demande de m’expliquer, mon cerveau est à off. Ce qui a pour effet de créer encore plus de colère chez mon parent qui lui perçoit que je ne comprends rien. En réalité, ses cris et ses menaces sont la source de ma confusion.

Briser le cercle vicieux des violences éducatives ordinaires

Les maltraitantes émotionnelles abiment le cortex préfrontal, plus précisément le cortex orbitofrontal. Ça devient alors difficile d’être empathique et de réguler nos émotions.

C’est, entre autres, ce phénomène qui crée le cercle vicieux de la violence. Quand on a soi-même vécu des veo, notre incapacité à être empathique dans certains moments avec les enfants, nous empêche de répondre avec empathie à nos enfants et perdure le cercle vicieux des violences éducatives ordinaires. 

Il y a de l’espoir! L’empathie qu’on expérimente, celui qu’on reçoit et celui qu’on s’offre, nous permet de former de nouvelles connexions neurologiques et réhabilite notre capacité à exprimer de l’empathie.

La méditation semble être un outil prometteur. Le livre de Dawson Church Bliss Brain est une mine d’or pour comprendre les effets de la méditation sur le cerveau appuyé par la recherche. La méditation active l’hippocampe et permet de synchroniser la régulation des émotions. 

« Chez les gens qui méditent, l'amygdale est calme. Elle devient encore plus silencieuse avec la pratique.  La différence d'activation de l'amygdale entre les gens qui méditent depuis longtemps et leurs pairs moins expérimentés a été mesurée.  Les adeptes font preuve de 400% de moins de réactivité face aux événements stressants.  Même chez les novices qui pratiquent la pleine conscience pendant 30 heures sur 8 semaines, on constate une diminution de l'activité de l'amygdale. » Bliss Brain, Dawson Church 

Dawson Church a entre autres fait deux recherches (2018 et 2017) sur les effets du EFT (Emotional Freedom Technique) sur les vétérans ayant un syndrome de choc post-traumatique. Les traumatismes petits et grands sont le résultat de violences, il est alors possible d’entrevoir que le EFT pourrait aussi permettre au cerveau de défaire les effets, du moins en partie, des violences éducatives ordinaires. 

Dans ma vie personnelle, je me suis inspiré de l’amour inconditionnel que je ressens envers mes enfants pour calmer mes réactions, mes explosions et avoir le temps de choisir l’empathie et la compassion. Ça n’a pas été facile, je l’ai échappé souvent et je l’échappe encore, mais c’est pour moi la preuve que l’amour que je ressentais pour mes enfants est celui que je ressentais de la part de mes enfants m’a permis de modifier mon lobe frontal et tranquillement me permettant plus d’empathie et de bienveillance.

Julie xo

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